De fait, mon cher père, qui avait pour son fils de la compassion et l'envie qu'il se développe le corps et l'esprit grâce à l'activité physique, m'a poussé dans un bateau ; de ces frêles esquifs qui glissaient sous nos fenêtres, au bord de la Marne. SN Perreux, au milieu des années 60. Ca devait être le printemps. Grâce aux conseils avisés de l'entraîneur- président du club, Bernard Batillat, je me suis porté sur l'avant, et j'ai assuré mon premier coup d'aviron. Le bateau tanguait un peu. Bientôt, il filerait, et quatre, cinq années défileraient, merveilleuses, de régates en régates, de voyages en voyages, de copains en copains, à deux, à quatre ou à huit, avec ou sans barreur. « Messieurs, êtes- vous prêts ?...Partez ! » Plus de 30 ans après, je n'en suis toujours pas revenu. Dans la tête, au fond de la mémoire, des images imprimées à jamais, des ampoules au creux des mains et accrochées au coeur, des cris de joie à l'instant d'une victoire, des envies de rendre l'âme au moment d'un bord à bord haletant, mais la volonté, toujours, quitte à en fermer les yeux, de continuer jusqu'à l'arrivée et d'entendre avec ravissement le coup de klaxon, de sortir les pieds enserrés, de les plonger dans l'eau froide, et de reprendre son souffle et de jeter un oeil sur la berge où toute la famille était réunie. Oui, car l'aviron, c'est d'abord une question de famille, un endroit clos, une oasis au sens littéral du terme : petite région fertile grâce à la présence d¹eau, dans un désert. Les rameurs, au contraire des footballeurs, n¹appartiennent qu'à eux- mêmes, étant vu qu'ils ne dérangent personne et surtout pas les représentants des médias qui les ignorent. Pourquoi ? C'est ainsi. Dans un monde du sport où le merchandising est poussé à outrance, où les états d¹âme des champions dits universels ont au moins autant d'impact dans l'opinion que leurs performances sur le terrain, où les télés se disputent à coups de milliards les droits de retransmission des grands événements, l'aviron se situe en marge, à la ligne d'eau numéro 7, celle où le courant est le moins fort, qui est bordée de silence et d'intimité mais encore d'amitié vraie et de toujours. C¹est l'aviron qui nous mène- nous mène- nous mène dit la chanson. Elle n'en finira jamais de résonner en moi. Dominique GRIMAULT |