Claude Jacquier, du Cercle de l'Aviron d'Evian, alors cadre au sein de l'équipe de France Juniors 1988 raconte une de ces anecdotes parfois tumultueuses que vivent nos dirigeants et nos athlètes lors des déplacements à l'étranger. C'est aussi cela la vie des équipes de France.
Et en cadeau, la vidéo de la finale du 4- juniors aux mondiaux de Milan.
La saison de l’équipe de France junior 1988 a été extraordinaire quant au résultat pour les seize rameurs de pointe sélectionnés. Tous ont été finalistes à Milan et médaillés, nous aurons sûrement du mal à égaler un tel résultat.
En coulisse, la préparation n’a pas été de tout repos. Des jeunes talents très motivés, à fort caractère et acharnés à progresser ont un comportement au sol un peu éloigné de ce concept. La première régate de préparation nous emmène en république tchèque, occupée par les Russes, précisément à BRNO, ville toute proche.
Une semaine de travail rigoureux, les rameurs appliqués et à l’écoute de Dominique BASSET, sont fin prêts pour affronter l’armada de l’est. Toutes les nations sont présentes et leurs entraîneurs vont repartir du site avec une idée précise de la valeur de la flotte tricolore, tous nos bateaux sont aux avant-postes.
Les chefs d’équipe viennent féliciter l’encadrement et on trinque pour fêter tout cela. Nous effectuons le chargement de la remorque car les entraîneurs des garçons sont chargés du convoi de retour avec le passage rétif de la douane autrichienne. Le patron, Yannick Le Saux trébuche et se blesse à la cheville, il faut l’amener dans sa chambre. Jean-Charles, le kiné, piégé par ses collègues russes, en mannequinat de la vodka va se reposer. Je reste seul accompagné par Alain, notre médecin et toute cette joyeuse troupe que je veille de près, mais ils sont nombreux et je suis aussi responsable du groupe féminin.
Globalement la soirée organisée par le club s’arrête assez tôt et je récupère des athlètes qui venaient d’emprunter les pédalos pour aller faire une bataille navale nocturne. Je les sermonne en sentant que le repenti qu’ils manifestent est seulement teinté de sincérité, mais cela semble les calmer.
(Mondiaux juniors Milan 1988 - Finale du 4- hommes, France 2ièmes)
Un dernier tour dans le couloir d’accès aux chambres avant d’aller se coucher pour plus de quiétude, quand déboule le président du club furieux, accompagné d’un athlète. Difficile de comprendre la cause de son énervement, fort heureusement son épouse l’accompagne et parle parfaitement le français. Elle m’explique que ce rameur a subtilisé une coque pour aller conter fleurette à une rameuse du club. Je suis à moitié étonné de cette attitude pour un garçon qui collectionne les bustiers ! Dans le même temps je réalise que c’est grave. Il faut savoir que le lac est interdit aux moteurs, sauf pour le club, car c’est la réserve d’eau d’une communauté de 400 milles habitants. Ce site stratégique est placé sous la surveillance soviétique qui n’a apparemment pas perçu le délit. Mais le président veut appeler le commandant russe pour punir le contrevenant. J’envisage le pire et l’angoisse de rester derrière le « rideau de fer » me taraude. Je parlemente longuement en cherchant tous les arguments susceptibles d’adoucir ce dirigeant. Les jeunes présents sont inquiets et partagent ma logique.
Las, j’ai utilisé tous mes éléments et je vais chercher le médecin pour tenter, à deux, de nous sortir de ce piège-là. Je le réveille et lui explique rapidement. Le dialogue reprend et les paroles médicales adoucissent ses traits, mais il est toujours déterminé. D’un coup, je lui explique que le rameur est tourmenté par des parents rigides et que son enfance difficile pèse sur sa vie. Seul son entraîneur, sur le retour en France à sa confiance, le comprend et lui permet de s’épanouir. Son épouse traduit et on observe avec Alain un changement radical de son mari. Elle nous explique qu’il a vécu la même chose et qu’il comprend son supplice.
Nous sommes sauvés et nous ne finirons pas en Sibérie. Toutefois, lors de l’accostage mouvementé, la coque du bateau a été endommagée et nous devons payer la réparation. Nous réveillons le groupe pour leur expliquer la situation, chacun donnera spontanément son obole. Le lendemain, Yannick, que nous avons aidé à s’installer, est un peu étonné de mon retard. Une ultime discussion avec nos hôtes pour les remercier de leur compréhension a nécessité un peu de temps. Il fallait également leur demander de ne pas ébruiter l’incident de la nuit auprès de nos deux fédérations et, bien sûr, leur remettre la somme recueillie.
Nous quittons le site sous un grand soleil, Napoléon a veillé sur nous !
Lors de la réunion de reprise, en septembre et avant d’évoquer le bilan et la stratégie à venir, Yannick nous interpelle sur ce qui s’est passé à Brno. Nous avions évidemment mis sous silence les péripéties de cette fameuse soirée. Il se trouve que pendant le mois d’août, il avait invité Vladimir, le vice-président tchèque chez lui, qui l’avait informé, en minimisant l’impact de cette opération. Ce grand dirigeant, compréhensif, a tempéré son bureau fédéral, pour que rien ne filtre. Ce brillant avocat du Président DUBCEK avait une détestation pour les russes. Nous l’avons revu à Trébon et Mâcon, la saison suivante avec beaucoup de plaisir.
Au regroupement suivant, nous avons eu une discussion très sérieuse avec Dominique et le rameur pirate. Ce dernier aura un comportement exemplaire jusqu’en fin de saison. Une grande partie des acteurs de cette étape "avironesque" sont aujourd’hui parents, certains dirigeants, et doivent être confrontés à des situations limites. Peut-être se souviennent-ils de ce moment délicat. Si c’est le cas, ils disposent d’un vécu particulier pour y faire face avec responsabilité.
Claude JACQUIER, le 29 novembre 2019
Merci à André Quoex pour nous avoir autorisé à publier cet article paru dans son périodique "Note Info Sport" n° 11 du 25/03/2020.
Les résultats de l'équipe de France juniors a ces mondiaux de Milan 1988 :
Hommes :
4- : Doche Mickaël, Durand Stéphane, Seguin Jean M., Trimouille Laurent (2ièmes)
4+ : Colder Erwan, Lattaignant Christophe, Murat Arnaud, Pedrali Franck, Vergnes Jean-Paul (2ièmes)
8+ : Aubert Guillaume, Ezratti Vincent, Gouverneur Frédéric, Lattaignant Christophe, Littaye Stéphane, Magre Stéphane, Martin David, Oyarzabal José, Schulte Yannick (2ièmes)
Femmes :
2X : Luyzi Bénédicte, Crrampes Myriam (8ièmes)
4+ : Bonnin Violaine, Boursicot Carole, Lyonnaz-Perroud Valérie (5ièmes)
2- : Mikuczanis Estelle, Mikuczanis Vallérie : (4ièmes)
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