Rachel Jung, ancienne rameuse internationale reconvertie en agent de sportifs
- Rameurs Tricolores
- il y a 6 jours
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Rencontre avec Rachel Jung, ancienne rameuse internationale de 2009 à 2011 en PL. Rachel accompagne aujourd'hui des athlètes de haut niveau dans leur image pour les aider à vivre sereinement leur carrière sportive. Rachel s'occupe entre autres de Claire Bové et Laura Tarantola, vice-championnes olympiques en 2021 à Tokyo en 2xSFPL.

Rachel, comment es-tu arrivée à l'aviron ?
J’ai toujours fait du sport. Petite, je passais mon temps dehors, à courir, à construire des cabanes… Je pratiquais le tennis. Mon rêve était de faire Roland Garros, sans me demander si j’avais le niveau. Mais après un déménagement je ne voulais pas changer de club, alors j'ai arrêté. Le conjoint (de l’époque) de ma mère m’a alors conseillé d’essayer l’aviron.
Très timide, je suis arrivée un mercredi au club de Monsempron-Libos. J’y ai découvert un entraîneur passionné, Philippe Brut, une équipe et surtout une sensation unique : la glisse.
J’ai tout de suite voulu monter sur un skiff. Je me souviens encore de ma première sortie : je me suis retournée trois fois. À chaque chute, je remontais avec rage, déterminée à y parvenir. Finalement, mon entraîneur, m’a inscrite à la tête de rivière de Saint-Livrade pour terminer de longues minutes coincée dans un arbre, mais ce fut une révélation : j’ai adoré ce format, l’ambiance, le fait de démonter les bateaux, de partir avec le club, en mini-bus… Pour moi, c’était le début d’une véritable aventure.
Peux-tu nous dire ce que l'aviron t'a apporté dans ta vie ?

J’ai commencé l’aviron en 2005. Comme évoqué, j’étais très réservée et en grande difficulté scolaire ; je venais de redoubler ma cinquième.
L’aviron m’a structurée, m’a accompagnée et m’a donné la confiance que seul le sport peut offrir à une petite fille un peu perdue et pas vraiment à l’aise dans ses baskets.
Plus tard, grâce à ce sport, j’ai vécu des expériences incroyables : des stages intenses, des sélections en équipe de France, des compétitions à l’étranger… Et aujourd’hui encore, tout cela nourrit mon travail. L’aviron m’a apporté une ouverture sur le monde et sur moi-même, que je n’aurais jamais imaginée au départ.
Justement, l'équipe de France, parlons-en ! Comment y es-tu arrivée ?
En 2005, nous avons qualifié un quatre de couple cadette au championnat de France, une première pour le club. Nous avons terminé en finale C. Mais ce que je retiens surtout, c’est d’avoir assisté aux arrivées et aux podiums. Je me souviens des filles de Bergerac et de Bordeaux, leur joie, leur fierté… Ce jour-là, je me suis dit : un jour, je gagnerai moi aussi. Je voulais ressentir cette émotion et la fierté dans le regard des personnes sur la berge.
Mon premier objectif a été la Ligue d’Aquitaine. Je suis d’abord entrée dans le bateau B avant de me battre pour gagner ma place dans le bateau A. Ensuite, j’ai découvert l’existence de l’équipe de France. C’est la paire Jessica Berra et Floriane Garcia qui m’a donné envie d’y accéder. À partir de là, c’est devenu une obsession.
Chez ma mère, je m’entraînais sans relâche : je courais dans les champs, je portais des poids aux pieds pour me muscler (rire). Je n’avais qu’une idée en tête : porter le maillot bleu et les pelles bleu-blanc-rouge.
Le passage par le CED de Bayonne a été décisif. José Oyarzabal a profondément cru en moi. Je me suis entraînée comme jamais, mais ma première année junior s’est soldée par une célèbre clé de 10. J’ai pleuré toute la journée. Je m’étais jurée de ne plus jamais perdre. Et c’est ce que nous avons fait, en deux sans barreur junior avec Marie Rousset. Une rencontre unique. Cette année-là, nous avions tout gagné, et c’était le début d’une aventure incroyable… près de dix ans en équipe de France.
Et maintenant, que fais-tu professionnellement ?
Aujourd’hui, cela fait huit ans que je travaille dans l’univers du sport et du marketing. Après être passée par un club de rugby professionnel et un club de football professionnel, en communication et marketing, j’ai lancé il y a quatre ans ma propre agence de conseil pour athlètes.
J’accompagne des sportifs dans le développement de leur image et la recherche de partenariats. Je retrouve dans l’entrepreneuriat des valeurs très proches de celles de l’aviron : la ténacité, l’esprit de compétition, la satisfaction de décrocher un contrat ou de concrétiser un projet… Ce sont des émotions comparables à celles que je ressentais lorsque j’étais athlète.
Sur l’année des Jeux olympiques et paralympiques de Paris, j’ai accompagné treize athlètes, dont huit ont participé aux Jeux et quatre ont été médaillés. Nous avons également collaboré avec quinze marques.
Quand as-tu pensé à ton après-carrière sportive et comment l’as-tu organisée ?
Cela a été très difficile. J’ai arrêté ma carrière sans accompagnement, ni de la Fédération, ni du club. Du statut de “machine”, on passe à celui de “fantôme”. Dans un premier temps, j’ai traversé une période d’excès de sport — je m’entraînais parfois trois fois par jour —, avant de connaître des troubles alimentaires. Une fracture de fatigue au pied m’a ensuite contrainte à ralentir.
Il a aussi fallu s’adapter au monde du travail. Comme à l’aviron, je suis allée chercher ma place au culot, dans un milieu du sport business (football/rugby) très fermé et compétitif.
Même s’adapter à une organisation a été compliqué : canaliser mon énergie, ma manière de vouloir tout faire, de prouver que je pouvais tout faire… On ne nous apprend pas à nous adapter ni à maîtriser cette force de travail. Même dans mon quotidien, j’étais en compétition : trouver toujours une solution pour atteindre l’objectif, quelle que soit la charge ou les contraintes. Cela devait être un peu effrayant pour les autres collaborateurs (rires).
Mais finalement, cette mentalité de compétitrice m’a permis d’avancer, de me faire une place et de transformer mes réflexes de sportive en véritables atouts dans le monde professionnel.
Quel est l'héritage de l'aviron dans ton activité professionnelle aujourd'hui ?
La principale qualité que l’aviron m’a transmise, c’est de ne jamais rien lâcher. Il m’arrive de me sentir anéantie par moments, mais je finis toujours par me relever. C’est une forme de résilience, un rebond que seuls les athlètes connaissent vraiment : être programmés à perdre, à accepter, à être exigeants envers soi-même… pour finalement rebondir et gagner.
L’aviron m’a aussi donné la confiance, et ça, c’est le plus important. Cela me l’a brisé aussi, à certains moments, dans ma pratique du haut niveau.
Aujourd’hui, en tant qu’entrepreneure, je me retrouve souvent dans les mêmes logiques : donner le meilleur individuellement au service d’un objectif collectif, qu’il s’agisse d’une marque ou d’un athlète — un peu comme dans un double ou un quatre.
Au quotidien, je suis plutôt dans un “skiff”, seule face à mes défis, prête à encaisser le fameux coup au 1000 mètres. Mais ma vraie force, c’est le finish : trouver l’énergie pour revenir et atteindre l’objectif. 🙂
Mener de front haut niveau sportif et formation est souvent difficile en aviron.
Quels sont tes conseils pour y arriver ?
Mes études de droit ont été une vraie plaie (rires) ! L’organisation était difficile, mais avec le recul, c’était indispensable pour la suite.
Mon premier conseil serait donc de poursuivre ses études, même si c’est compliqué au quotidien. Ne pas hésiter à demander un aménagement, mais poursuivre. C’est essentiel pour préparer l’après et ne pas se définir uniquement à travers le prisme de l’aviron et de la performance.
Quelle place occupe l'aviron pour toi aujourd'hui ?
Aujourd’hui, je rêve encore souvent d’aviron. Parfois, je me réveille avec l’angoisse de ne pas être au poids et la sensation que je n’y arriverai jamais (sourire). Pendant longtemps, je n’ai plus parlé d’aviron du tout.
J’ai toujours gardé un lien avec mes coéquipières de l’équipe de France, grâce à notre médaille aux Championnats du monde -23. Certaines sont devenues des amies très proches.

C’est finalement par mon travail que je me suis “réconciliée” avec ce sport. Lors des Jeux Olympiques de Tokyo, j’ai suivi la course de Claire Bové et Laura Tarantola. Je n’y croyais pas… elles sont sacrées vice-championnes olympiques ! Combien de filles ont rêvé des Jeux ? Combien a-t-il fallu de filles en France pour sortir une paire médaillée olympique ? L’interview de Claire m’a bouleversée. Et c’est elle qui a été la première athlète que j’ai accompagnée.
En travaillant avec Claire Bové et Laura Tarantola, j’ai dû reparler d’aviron, et j’ai eu envie de relever ce challenge : offrir à ces athlètes et à ce sport la visibilité qu’ils méritent. Avec elles, j’ai monté des partenariats forts : la campagne avec la maison de joaillerie Mauboussin, puis des collaborations avec Petit Bateau, Yves Rocher, Decathlon…
Aujourd’hui, l’aviron n’est plus pour moi un “vieux dossier”. J’ai ressorti mes médailles et j’en parle beaucoup à mon fils : des stages, des entraîneurs, des souvenirs… L’aviron fait toujours partie de moi, mais sous une autre forme.
Tu travailles dans le milieu des “médias” actuellement, quels conseils donnerais-tu aux rameuses et rameurs, ou au monde de l’aviron pour que ce sport puisse plus rayonner ?
Pour que l’aviron rayonne davantage, il est essentiel de développer sa présence sur les réseaux sociaux. Les athlètes devraient intégrer la gestion de leur image dans leur programme de performance : être aujourd’hui aussi rigoureux dans leur communication que dans leur entraînement s’ils souhaitent vivre un jour de leur sport. Investir dans son image, c’est se créer sa propre plateforme médiatique pour valoriser sa carrière, faire connaître l’aviron et préparer l’après-carrière.
D’ailleurs, si je peux donner un conseil aux athlètes venant de remporter un succès international, ce serait de travailler leur image. Ne vous limitez pas à votre performance ! Soyez aussi un relais d’inspiration : prenez votre place sur les réseaux sociaux, devenez le meilleur média pour vous-même, votre club et votre fédération. Inspirez la jeunesse à faire du sport et, pourquoi pas, à découvrir l’aviron.
Et enfin : osez. Pour réussir, il faut avoir le courage de prendre des risques et de se dépasser, au-delà de ce que l’on pense possible, mentalement et physiquement, que ce soit dans le sport ou dans la vie.
As-tu eu un regret, un échec qui t'a fait rebondir durant ta carrière sportive ?
Je rêvais des Jeux Olympiques. Nous étions encore loin de cet objectif, mais c’était mon rêve. Finalement, dans une carrière, les échecs sont souvent plus nombreux que les victoires — ou du moins, ce sont eux que l’on retient le plus. Et chaque échec est, à sa manière, un rebond : il nous apprend à nous relever, à progresser et à aller toujours plus loin !
Pour finir, as-tu une anecdote à nous partager de tes années rameuse ?
Il y a tellement de moments qui m’ont marquée… Mais je pense que l’un des plus forts a été les Championnats de France senior, où j’ai terminé 3ᵉ, après huit mois passés au Brésil à m’entraîner avec Fabiana Beltram et Beatriz Tavares. Apprendre une langue, suivre un programme différent et être loin de ma famille a été une expérience marquante. Je me suis vraiment épanouie dans cette pratique de l’aviron, plus libérée, tout en conservant un objectif très ambitieux.

Nous ne nous sommes pas qualifiées pour les Jeux de Rio avec Camille Leclerc à la régate de Lucerne, mais vivre ces championnats avec ma famille sur le podium — ma nièce, mon neveu dans mes bras, ma mère, ma sœur, mon frère, mes amis, mon club sur la berge et tout le club du Flamengo derrière moi — a été un moment incroyable.
D’autres souvenirs restent également gravés : le Pôle France à Toulouse avec une génération incroyable, une génération dorée, des personnes brillantes à la fois sur l’eau mais aussi hors de l’eau (Myriam Goudet, Matthieu Androdias, William Ader, Maxime Maillet, Johan Trinquie, Thibault Collard…), mon premier Boston avec la Nautique de Bayonne, mes premières médailles internationales avec Charlotte Culty, Chloé Poumailloux, Sara Prochasson et Carmen Mulot, ou encore mes premiers titres de championne de France avec l’Aviron Bayonnais et ma première médaille en aviron de mer avec le club d’Hendaye…
Chacun de ces moments a contribué à forger ma carrière et ma passion pour l’aviron.
Merci Rachel d'avoir pris le temps de répondre à nos questions !
Note : Les photographies sont issues de l'album personnel de Rachel.
Le palmarès sportif de Rachel Jung

Débuts et formation (2005-2008)
2005 : Débuts à l’aviron – Finale C aux Championnats de France cadettes en 4X avec le club de Monsempron-Libos
2006 : Sélectionnée à la Coupe de France Ligue d’Aquitaine
2006 : Finale B aux Championnats de France cadette en 4X avec le club de Monsempron-Libos
2008 :
Vice-championne de France en 4x mer (avec le club d’Hendaye)
Championne de France en deux sans barreur junior (avec la SN Bayonne, avec Marie Rousset de l’Aviron Mimizan)
Championne de la Coupe de France (4+ avec la Ligue d’Aquitaine)
3ᵉ aux Championnats de France en double (avec la SN Bayonne, avec Clémence Casbas)
4ᵉ aux Championnats du monde juniors en 8+
Confirmation nationale et internationale (2009-2011)
2009 :
3ᵉ aux Championnats de France (4- avec la SN Bayonne)
3ᵉ à la Coupe de France (8+ avec la ligue d’Aquitaine)
5ᵉ en finale B aux Championnats du monde U23 en skiff poids léger
2010 :
Championne de la Coupe de France
Vice-championne de France (4- avec la SN Bayonne)
🥉 3ᵉ aux Championnats du monde U23 (LW4x)
3ᵉ aux Championnats de France en double (avec la SN Bayonne, avec Clémence Casbas
2011 :
🥈 Vice-championne du monde U23 (LW4x)
Finaliste aux Championnats du monde seniors (LW4x)
Haut niveau national (2013-2014)
2013 :
Vice-championne de France en double poids léger (avec l’aviron toulousain)
Vice-championne de France sprint mixte (avec l’aviron toulousain)
2014 : 🥉 3ᵉ aux Championnats de France en skiff poids léger (avec l’aviron bayonnais)
Expérience internationale et derniers titres (2015-2017)
2015 :
🥈 Vice-championne d’Espagne en 8+ / 🥉 en double (club de Hondarribia)
Vice-championne de France sprint (4x mixte et 2x femmes)
2016 :
Sélectionnée en Coupe du Monde (double poids léger – Lucerne)
Championne d’Espagne en 4x femmes (club Raspas)
2017 : Championne de France en 4 de couple (Aviron bayonnais)